La gazette piétrolaise

A Petra di Verde, u nostru paese

I tiri corti

Quell'omi travagliavanu tutta a settimana, da u luni a mane à u sabatu sera, da un stellu all'altru.  A dumenica era riposu. 

A dumenica, si n'andavanu nant'à a Traversa o in piezza à a ghjesa, puliti, incù e mutende cambiate à mane, cum’e ogni dumenica, e, di le volti, inc'una sarachetta nova, quella di e feste.  Eranu in quattr'o cinque à discorre ore sane, a maiò perte di u tempu arritti e, da lontanu, a cunversazione parìa alegra.

Avìanu tutti fattu un gran viaghju una vintina d'anni prima.  L'avìanu mandati a u fronte.  Parlavanu di a Champagne e di a Somme, di u canale di l’Aisne e di u fiume chi “falava rossu”, di e fureste di l'Argonne, u Chemin des Dames, a costa 304, Les Eparges...  Avìanu passatu mesi, anni, in le “tranchées”, in lu fangu e in lu codru, in la nebbia chi durava à belle decine di ghjorni, e, sempre, sottu à i tiri di i fucili, di e mitragliose, di i cannoni.  Fecìanu perte di quelli chi si n'eranu tirati.  Parechji inc'una ferita o inc'un pezzu di capotta in li polmoni.  Ma si n'eranu tirati e a pudìanu contà.

E a contavanu tutte e dumeniche nant'à a Traversa o in piezza à a chjesa.  E, contendula, ammentavanu i morti e i feriti ch'elli avìanu vistu à l'angunìa accantu à elli, omi giovani ch'elli cunniscìanu e ancu paisani incù i quali eranu stati zitelli.

Tutte e dumeniche era quessa a so cunversazione.  Una cunversazione quantunque anc'appena alegra perchì si ne eranu tirati e chì, elli, avìanu vintu.  E forse dinò perchì “a guerra di Quatordeci”, per elli, era stata a sola volta ch'ell'eranu surtiti di paese...

Dopu tant'anni, à mezu à tuttu ciò ch'elli contavanu di quell'infernu di feru e di focu, c'eranu ancu cosi chi l'avìanu datu voglia di fassi una risata.

- “Cumu disse l’urizzincu quand’e n’eramu in trè in quellu tovone c'ùn ci serebbi pussuta stà manc'una capra?

- S'o vengu à more qui, ùn mi possu mancu stinzà!”

Contavanu dinò quessa e d'altre surtite di listessu generu chi, fenduli ride, l'avìanu datu a speranza di tirassine.

Eppoi contavanu ciò ch'ell'avìa dettu, tal ghjornu ch'elli collavanu all'attaccu, l’officiale, un bellu giovanu, chi i chjamava “mes enfants” e viaghjava davanti inc'un bastone in manu, senza caccià u rivolveru.  E cumu tale sargente, incù quattr'omi, avìa messu fine à u scempiu di quelle duie mitragliose alemane chi dipoi a mane à ghjornu ùn lesciavanu francà à nimu i pochi metri mez'à dui posti francesi, induv’ellu c’era più morti che vivi e feriti senza succorsi.  Li deddenu all'istente a Legione d'onore à quellu sargente e a croce di guerra a i quattr'omi!

Contavanu, contavanu ore sane...

Eppoi, c’era qualcosa chi revenìa à ogni volta, chi cuncernava l'artiglierìa e chi, elli, ùn ghjunghjìanu à disciublicà.  À senteli, elli ch'eranu fantacini à u 173, accadìa chi l'artiglierìa francese tirassi daretu à e nostre truppe  e micca davanti à e nostre prime linghje.  Avìanu voglia chi fà l'ufficiali incù e so “fusées”, l'artigliori ùn capìanu.  E ogni dumenica ci n'era sempre unu per rammentalla.  E, dopu tant'anni, ùn li riescìa di capilla.  Serà statu pussibile chi u statu maggiore dessi ordine di tirà daretu à e nostre truppe?  Innò!  Unn era pussibile!  Era di sicuru un errore di qualc'artigliore.  Ùn si pudìa capì che cusì...  E a cunversazione di quell'omi maturi, chi, per furtuna, si n'eranu tirati e chi, avà, tutta a settimana straziavanu da un stellu all'altru, ripigliava ogni dumenica, senza mai podè disciublicà quella di i tiri corti di l'artigliori.


Les tirs trop courts

Ces hommes travaillaient toute la semaine, du lundi matin au samedi soir, de l'aube au crépuscule.  Le dimanche, ils se reposaient.

Ce jour-là, ils allaient sur la Traverse ou sur la place de l'église, propres, après avoir changé de sous-vêtements, et portant, pour certains, une veste neuve, celle des jours de fête.  Ils se retrouvaient, quatre ou cinq, à parler des heures entières, debout la plupart du temps.  De loin, leur conversation semblait joyeuse.

Vingt ans auparavant, ils avaient fait un grand voyage.  On les avait envoyés au front.  Ils parlaient de la Champagne et de la Somme, du canal de l'Aisne et de la rivière qui “coulait rouge”, des forêts de l'Argonne, du Chemin des Dames, de la côte 304, des Eparges…  Ils avaient passé des mois, des années dans les “tranchées”, dans la boue et le gel, dans le brouillard quelquefois pendant dix jours d'affilée, continuellement, sous le tir des fusils, des mitrailleuses, des canons.  Ils faisaient partie de ceux qui avaient eu la chance de s'en tirer.  Beaucoup d'entre eux avec une blessure, l'un d'eux avec un morceau de capote qui avait accompagné un éclat d'obus jusque dans ses poumons.  Mais enfin, ils étaient revenus et ils pouvaient en parler, de leur voyage.

Chaque dimanche, sur la Traverse ou sur la place de l'église, ils reprenaient le même discours, se souvenant de leurs camarades morts ou des blessés qu'ils avaient vus agoniser à leurs côtés, des hommes jeunes, qu'ils connaissaient, quelquefois des gens de leur village avec qui ils avaient été enfants.

Tous les dimanches, la même conversation revenait, teintée d'une certaine joie, celle de s'en être tirés et d'avoir vaincu.  Et peut-être aussi parce que “la guerre de 14” avait été pour eux la seule occasion de s'éloigner de leur village…

Après tant d'années, en parlant de cette guerre infernale, ils se souvenaient pourtant d'avoir eu l'occasion de rire.

- “Tu te souviens de ce qu'a dit le type d'Orezza quand nous étions à trois dans un trou où même une chèvre aurait eu du mal à tenir?

- Si je meurs ici, je n'aurais même pas assez de place pour m'étirer!”

Cette histoire et d'autres du même genre leur avaient permis de garder l'espoir de survivre.

Ils racontaient aussi ce qu'avait dit, un jour qu'ils montaient à l'assaut, l'officier, un beau jeune homme qui les appelait “mes enfants” et qui marchait devant eux en tenant un bâton à la main, sans sortir son revolver.  Et encore comment un sergent, aidé de quatre hommes, avait mis fin au tir meurtrier de deux mitrailleuses allemandes qui depuis l'aube ne laissaient franchir à personne les quelques mètres qui séparaient deux postes français, où il y avait plus de morts que de vivants, et des blessés qu'on ne pouvait secourir.  Sur le champ de bataille, le sergent fut décoré de la Légion d'Honneur, les quatre hommes de la Croix de Guerre.

Ils racontaient et racontaient, pendant des heures…

Il y avait une autre chose dont ils parlaient chaque dimanche.  Elle concernait l'artillerie.  Ils ne parvenaient pas à l'oublier.  A les entendre, eux qui avaient été fantassins au “173”, il était arrivé que l'artillerie française tirât derrière nos troupes et non devant nos premières lignes.  Les officiers avaient beau faire avec leurs “fusées”, les artilleurs ne comprenaient pas.  Chaque dimanche, il y en avait toujours un pour s'en souvenir.  Et depuis tant d'années, ils n'arrivaient pas à expliquer comment cela avait été possible.  Que l'Etat-Major ait donné l'ordre de tirer derrière nos troupes, non!  Ce n'était pas possible!  Il s'agissait certainement de l'erreur d'un artilleur.  C'était la seule explication plausible.

Leur guerre était devenue une obsession pour ces hommes, mûrs maintenant, qui reprenaient chaque dimanche la même conversation, sans jamais pouvoir éclaircir ce point:  pourquoi les tirs des artilleurs avaient-ils été trop courts?

Par chance, eux s'en étaient tirés.  Demain, toute la semaine suivante, et toutes les autres semaines de leur vie, ils continueraient à travailler sans relâche, de l'aube au crépuscule.

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