La gazette piétrolaise

A Petra di Verde, u nostru paese

A passione di Cèccè

Era bancalaru, Ceccè.  Era statu u so primu mistieru, forse per via di famiglia, e, più o menu, l’ha fattu sin’à l’ultimu.  Ma, per quantu ne sò, unn era micca a so passione.  A so passione Ceccè l’avìa scuperta lontanu, guasi per casu, in circustanze ch’elli m’hanu contu e chi, per un paisanu di Castagniccia, à quelli tempi, eranu piuttostu strane.

Eramu a i principî di u seculu scorsu.  In paese c’era Ceccè cume bancalaru e Mertinu cume maestru di muru.  E forse perch’ell’eranu trimindui artisgiani eranu dui amiconi.  Travagliavanu aspessu inseme e si sentìanu cum’e viole.

Ed eccu ch’in Parigi scoppiò a “greva” di i taxi (in corsu ùn la sò dì ssa parulla e sò dicu “scioperu” è talianu; allora mi scuserete, ma m’arrangiu cum’o possu).  Per ùn dalla vinta a i “grevisti”, i padroni mandonu à circà ghjente sin’à in li nostri paesi per cunduce i taxi.  Quelli spaisati ghjunghjìanu à Levallois-Perret, i mettìanu nant’un taxi qualchi paghjata di ghjorni à amparà à cunduce e, dopu, li mettìanu u “volant” in le mani, un sullatu accantu incun fucile bainnetta à u cannone, e i cappiavanu pè ssu Parigi.  Cusì pertinu tra Ceccè e Mertinu à girà a capitale tantu ch’ella durò a “greva”; eppò si ne ghjunsenu torna in paese unu à manighjà pianellu, tavule, chjodi e mertelli e l’altru a cazzola.

Ma Ceccè, in Parigi, cunducendu e vitture, ci avìa trovu a so passione ch’ellu tenne pietta più di vint’anni.  Ùn pudìa d’altronde fà di menu che piettalla:  strade, ciò chi omu pò chjama strade, ùn ci n’era; i solli pè comprà a vittura eranu pochi.  Eppò qual’è chi si serebbi messu a i risichi di montà un serviziu senza pratiche?  Avìa voglia d’esse passionatu Ceccè:  in li nostri lochi, unn era ancu l’epica di e vitture. 

E Ceccè aspettò.  Cuntinuendu à fà u bancalaru, ebbe l’occasione di dassi a i mutori.  Tandu i padroni di l’usine chi si manghjavanu i castagni avìanu installatu un generu di telefericu, chi a ghjente chjamava “u filu”, per fa andà i vagonetti cherchi di legna di tinta da induve noi à “Petramala” in duv’elli pudìanu ghjunghje i camiò.  E Ceccè s’occupò parechj’anni di u “filu”.  Cinque o sei giuvanottoni chercavanu i vagonetti e ellu s’occupava di u mutore e di fà viaghjà u filu.  Andò ancu una volta à svitucciuliallu, à più di centu metri sopr’à u fiume, solu, liatu in un vagonettu!  E tutti l’ochji l’eranu addossu.  E quand’ellu voltò sicuramente ch’ellu si sciaccò qualchi “pastizzu” incù tre o quattru “rincette”.  Perchi avìa dinò quessa a passione Ceccè.

E Ceccè invechjava, pensendu à u so suggiornu in Parigi.  Sempre incù a listessa passione di e vitture.  Ma più passavanu l’anni e menu Ceccè sperava di potelle cunduce ellu e vitture.  Allora aspettò chi u figliolu avissi vint’anni per compranne una.  E dipoi tandu, e vitture di Ceccè e di i so figlioli, incù u serviziu, per quelle strade impetrate, prima ch’elli ci lampassinu appena di catramu, so durate più di trent’anni.


La passion de Cèccè

Ceccè était menuisier.  Son métier, il l’avait appris tout jeune sans doute dans sa famille et il l’exerça habilement pendant presque toute sa vie.

Je crois savoir que la menuiserie n’était pas une passion pour lui.  Sa véritable passion lui fut révélée par hasard, pourrait-on dire, loin de chez lui, dans des circonstances dont j’ai entendu parler et qui, pour un habitant de la Castagniccia, constituèrent une aventure extraordinaire.

Il faut revenir au début du 20è siècle.  Au village, Ceccè était menuisier et Mertinu était maçon (“Maître du mur”, selon la belle expression corse).  Ils étaient aussi très amis et travaillaient souvent ensemble sur les mêmes chantiers en parfait accord.

Voilà qu’à Paris survint un événement qui devait révéler à Ceccè la chose qu’il aimerait le plus au monde.  Ce fut la grève des chauffeurs de taxis.  Pour briser la grève, les patrons allèrent jusque dans les villages les plus reculés chercher des “jaunes” (qui n’avaient aucune idée des luttes sociales et encore moins de la lutte des classes) pour leur faire conduire les taxis.

Dès leur arrivée, on les conduisit à Levallois-Perret, une banlieue de Paris.   En deux ou trois jours on leur “apprit” à conduire, puis on les mit au volant et on les lâcha à travers Paris, accompagnés, protégés par un soldat qui se tenait, baïonnette au canon, sur le siège avant de la voiture.

C’est ainsi que Ceccè et Mertinu partirent “faire le taxi” dans les rues de la capitale.  A la fin de la grève ils s’en retournèrent au village, dans leur famille.  Chacun reprit ses outils et son métier.

Ceccè avait pris beaucoup de plaisir en conduisant son taxi.  S’il avait pu, il aurait laissé tomber le travail du bois.  Ce rêve l’accompagna pendant vingt ans, mais il n’en parla à personne.  On lui aurait ri au nez.  En effet, les conditions étaient tout à fait défavorables:  il n’existait pas de routes dignes de ce nom dans notre région et le prix des voitures était très élevé.  Pour Ceccè, pourtant, plus le temps passait, plus le rêve se faisait précis:  mettre sur pied une entreprise de transports en commun, ce qui exigeait l’achat d’un véhicule assez grand pour transporter au moins une dizaine de passagers.  Hélas!  Au manque d’argent et de routes s’ajoutait le manque de clients car les gens se déplaçaient peu.  Ceccè dut vivre encore de nombreuses années avec sa passion rentrée et admettre que l’époque de la voiture n’était pas venue.

Il attendait pourtant, il espérait.  Il faisait son métier de menuisier tout en s’intéressant à la mécanique, aux moteurs.  Avant la deuxième guerre, une entreprise avait été créée pour l’exploitation du bois de châtaignier dans notre région.  On avait installé ce qu’on appelait “le fil”, un cable sur lequel se déplaçait un wagonnet que l’on chargeait de bois dans notre village et que l’on déchargeait de l’autre côté de la vallée de Fiume Alesani, sur la route de Cervione qui, elle, était carrossable.  Ceccè fut responsable du fonctionnement du “fil” et de son entretien pendant plusieurs années.  Le jour où survint une panne, à plus de cent mètres au-dessus de la rivière, c’est lui qui alla seul, dans le wagonnet, faire la réparation nécessaire.  Tout le village y assistait de loin et l’inquiétude était grande.  Quand Ceccè revint, ayant fait preuve de son courage et de son habileté, on trinqua abondamment pour saluer l’exploit.

Les années passaient.  Ceccè vieillissait, avec toujours au fond de lui cette envie tenace de monter son entreprise de transports en commun...  Jamais il ne put conduire la grosse voiture de ses rêves.  Quant il eut assez d’argent pour l’acheter, il était déjà âgé.  Son fils aìné prit le volant.  Ses deux autres garçons apprirent eux aussi à conduire et, pendant, plus de trente ans, les voitures de Ceccè et de ses fils sillonnèrent avec bien des difficultés les routes pierreuses de la région.  Ils transportèrent tant de monde à la gare, au bateau, ou tout simplement à la ville et, plus tard, à l’aéroport!  Quand la route principale fut enfin recouverte de goudron, le travail devint moins pénible.  Ceccè n’était malheureusement plus là pour voir le car que ses enfants conduisaient maintenant.

Mais les temps changent:  peu à peu, on passa à l’ère de la voiture individuelle et le nombre de clients se réduisit jusqu’à devenir négligeable.   Le métier ne nourrissait plus son homme.  Ce fut la fin du service si utile que Ceccè avait organisé grâce à sa ténacité, son intelligence, son esprit d’initiative et...  sa passion.

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