La gazette piétrolaise

A Petra di Verde, u nostru paese

Giboutiiiii!

Di statina ghjunghjìanu quelli ch’eranu pertuti à buscassi un pezzu di pane in cuntinente o à e culunie, militari, marinari, duganeri, pulizeri, gendermi o qualchi ‘mpiegatu di e Poste e di i camini di ferru.  In generale, voltavanu tutti i dui anni per stassi dui mesi in paese.  “Tranquilli”, dicìa a mio mammone, vole si dì incù i so mesi pagati e a ritirata sicura.

Senza vitture, a sola volta ch’elli surtìanu da paese era per collà à l’acqu’acidosa. Pertìanu à mane à bon’ora incù mule e sumeri, cascette piene di buttiglie e i tuvaglioli pe u manghjà di meziornu.  E cusì voltendu in casa soia, durente una settimana o duie, ogni matina si beìanu un bichjerone d’acqua d’Orezza.

I so dui mesi i si passavanu in paese à spassighjà sin’à i Temponi, à fassi una sonnata dopu pranzu sott’à i castagni e, pe à più perte, sin’à l’abbrogu, à ghjocà à bucce o à vede ghjocà.

C’eranu l’assi pe e bucciate. Fecìanu u “carreau” ogni volta ch’elli tiravanu.  Almenu era cusì ch’elli a contavanu in caffè quelli stavanu d’inguernu in paese.  Ma s’ell’ùn chjappavanu sempre, i nostri sbucciatori, ne mancavanu poche.  Ci n’era sopratuttu dui chi nimu pudìa luttà, ‘Ntone u genderme chi venìa da Marseglia e Ghjacumu ch’era pulizeru à u Maroccu.  U genderme ghjocava seriu seriu e ùn vulia sente un riattu quand’ellu tirava.  U pulizeru a fecìa ridendu e ciarlendu.

A ghjente aspettava ch’elli ghjunghjissinu, i dui campioni, e quand’ell’eranu in paese, vechji e zitelli eranu incantati à vedeli ghjocà.  Tutte e sere si rammentavanu e pertite di u dopu-meziornu e sentìete:  “Quand’ell’eranu diciottu à sedeci e ch’ell’ha sbucciatu ‘Ntone cacciendu a buccia daretu à a soia senza toccà u buccinu, chi a si basgiava guasi, aghju pensatu chi Ghjacumu fussi leccu.  Ma s’è rimpattatu subitu.  Ha tiratu à u buccinu, mandendulu à caternu, e s’ha mercatu e tre bucce ch’elli s’avìanu sempre in manu, ellu e Ceccè!”.

È durata cusì anni e anni...  Avìanu voglia di fà più che l’impussibile l’altri, ùn li riescìa mai di vince.  Face chi unn avìanu mancu più brama di ghjocà.

Eppoi, un’annu voltò Francescu chi mancava dipoi ch’ellu s’era ingaggiatu in la Culuniale. Nenzu di perte, bucce unn avìa mai toccu.  Ma, à e culunìe, ci s’era messu anch’ellu.  Affaccò un ghjornu in caffè e disse ch’ell’era prontu à luttà i dui campioni, si qualchisìa si vulìa mette incun’ellu per avvicinà. Fubbenu parechji à proponesi e a lutta ripigliò ancu più accanita.

À e prime, u genderme e u pulizeru, e dinò a ghjente chi venìa à vede ghjocà, a si pigliavanu tutti in risa.  Ma Francescu tenìa tasta.  A pedi ghjunti secondu a regula, quand’ellu tirava, si turcìa da u capu à i pedi cum’e un’anguilla.  Tirava à a mancinesca e chjappava.  E chjappu ch’ell’avìa, pertìa saltendu e ridendu, cuntentu cume un pichju.  Un ghjornu dopu l’altru s’impunìa.  Face chi, in pocu tempu, ha avutu tutti i giovani incun’ellu.  Ad ogni colpu era un’eviva.  Ancu per infastidì à Ghjacumu e à ‘Ntone.

Francescu era sempre statu un omu alegru e voltendu s’era sempre quellu.  Cose à contà n’avìa miraculi, serie, ma più vulenteri ridicule.  Contava di a so vita militare, di i so viaghji à bordu à i batelloni chi fécìanu l’Indochine.  Ammentava nomi di paesi e di cità scunnisciuti in li nostri lochi:  Suez, Djibouti, Singapour, Saigon, Haiphong e tant’altri induv’ell’era passatu...

“Gibouti”, è pieciuta ssa parulla.  Cum’ell’è stata, nimu l’ha mai sapiuta.  Ma, un dopu-meziornu, quandu Francescu cacciò una buccia contraria, sola mez’à tre altre di e soie, tutte aggruvulate intornu à u buccinu, una vera maraviglia, un giuvanottu, chi parlava appena di nasu, si messe à saltà e à stridà:  “Giboutiiii!”, allonghendusila nant’à u “i”, e abbreccendusi u novu campione.

E dipoi tandu, tempu chi Francescu dopu essesi tortu da u capu à i pedi, ma à pedi ghjunti secondu a regula, tirava e chjappava, ci n’era sempre unu chi stridava:  “Giboutiiii!” e chi mettìa à tutti in alegrìa. Ancu i dui vechji campioni.


Giboutiiiii!

L’été ramenait au village ceux qui l’avaient quitté pour gagner leur croûte sur le continent ou dans nos colonies:  militaires, marins, douaniers, policiers, gendarmes, employés des postes ou des chemins de fer.  Ils revenaient tous les deux ans passer leur long congé de deux mois au village.  "Tranquilles", disait ma grand-mère, ce qui signifiait:  Ces deux mois sont payés à ces chanceux, même lorsqu’ils se reposent et leur retraite est assurée.

Personne ne possédait de voiture, à l’époque, et les vacanciers, la plupart du temps, ne sortaient pas du village, si ce n’était pour des obligations majeures, un enterrement, un mariage chez des cousins ou des amis proches.  Par contre, ce qui leur paraissait indispensable était la "montée" à l’eau  ferrugineuse d’Orezza.  Ils partaient de très bonne heure avec des mulets et des ânes, des caisses pleines de bouteilles soigneusement lavées et le casse-croûte pour midi.  Ayant fait provision de la bonne eau connue dans toute la Corse, il ne leur restait qu’à revigorer leurs organismes plus ou moins agressés dans des régions au climat moins sain que le nôtre.  Il suffisait pour  cela de boire chaque matin, pendant quelques semaines, un grand verre de cette eau quasiment miraculeuse, douée de toutes sortes de vertus, curatives et préventives.

Ils passaient leurs congés à se promener, allant admirer, aux Temponi, le paysage de montagnes, la mer, l’île de Monte-Cristo.  Beaucoup aimaient  renouer avec une vieille habitude qui était de faire la sieste sous les châtaigniers.  Mais le passe-temps favori de presque tous les hommes était de jouer aux boules ou de regarder ceux qui jouaient.

Parmi les joueurs, certains étaient des as.  Ils faisaient un "carreau" chaque fois qu’ils tiraient.  C’était du moins ce que raconteraient, au café, ceux qui restaient au village en toutes saisons.  Mais s’ils ne gagnaient pas toujours, chacun savait qu’ils en manquaient peu, des boules.  Parmi ces champions, il y en avait deux contre lesquels personne ne pouvait lutter, Antoine le gendarme qui venait de Marseille et Jacques, qui était policier au Maroc.  Le gendarme était très concentré, grave, et ne supportait pas le moindre bruit quand il "tirait".  Le policier, au contraire, plaisantait et prenait tout à la rigolade.

Tous les deux ans, on attendait les deux champions.  Le soir, on se rappelait les parties de l’après-midi:  "Quand ils étaient dix-huit à seize, qu’Antoine a tiré, qu’il a chassé la boule derrière la sienne sans toucher le cochonnet (qui l’embrassait quasiment), j’ai pensé que Jacques était cuit.  Mais il a égalisé tout de suite en tirant sur le cochonnet.  Il l’a envoyé au diable et il a gagné les trois boules qu’ils avaient encore en main, lui et Ceccè!"

Cela dura des années et des années.  Les autres avaient beau faire l’impossible, ils n’arrivaient à rien.  Certains, dégoûtés, n’avaient même plus envie de jouer.

Voilà que François revint au village pour l’un de ces bienheureux congés.  Engagé dans les troupes coloniales, il  avait disparu de la circulation depuis des années.  Il ne jouait pas aux boules avant son départ, mais il faut croire que la douce vie des colonies lui en avait donné le goût.  Ce qui est sûr, c’est qu’il surprit tout le monde au café le jour où il se déclara prêt à affronter les deux champions si quelqu’un voulait bien faire équipe avec lui.  Les candidats furent nombreux, la lutte promettant d’être acharnée.  Personne,  joueurs ou spectateurs, ne voulait manquer ça!

Au début, le gendarme et le policier, ainsi que pas mal de ceux qui regardaient la partie, rigolèrent ouvertement.  Mais François tenait bon.  A pieds joints, selon la règle, quand il "tirait", il se tortillait de la tête aux pieds comme une anguille.  Puis il tirait de la main gauche et délogeait la boule de l’adversaire.  Alors il se détendait, sautillant et riant, gai comme un pinson.

En peu de temps, il s’imposa.  Il avait avec lui tous les jeunes.  A chacune de ses réussites, c’était une ovation.  (Certains, soit dit en passant, n’étaient pas  fâchés d’embêter un peu Jacques et Antoine).

François avait toujours été jovial, bavard, et il l’était resté.  Il avait mille choses à raconter, certaines sérieuses, marrantes le plus souvent.  Il racontait sa vie de militaire, ses voyages à bord des grands bateaux qui "faisaient" l’Indochine.  Il parlait de pays et de cités inconnus de tous:  Suez,  Singapour, Djibouti, Saïgon, Haïphong et tant d’autres…

Allez savoir  pourquoi, Djibouti, prononcé Gibouti, entra dans le langage de tous les jours, grâce, pourrait-on dire, au jeu de boules.  Voici comment cela se passa:  Un après-midi, lorsque François chassa la boule de son adversaire qui se trouvait seule parmi les siennes rassemblées autour du cochonnet (un coup miraculeux), un jeune garçon, qui nasillait un peu, se mit à sauter en criant:  "Giboutiiii!", appuyant sur le "i" et serrant le nouveau champion dans ses bras.

Dans la foule, ce fut du délire et depuis ce jour-là, dès que François se tortillait de la tête aux pieds, mais à pieds joints selon la règle, puis tirait et chassait la boule adverse, il y avait toujours quelqu’un qui criait Giboutiiii! mettant tout le monde en joie.

Même, dit-on, les deux vieux champions.

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