La gazette piétrolaise
A Petra di Verde, u nostru paese
I duganeri
Cume sempre s’era arrizzatu all’alba, s’avìa pigliatu appena di caffè e pò avìa insellatu e tre mule e avìa chjappu in ghjò à chercà di suvu. Un zitellone l’aiutava, tenìa i sacchi, insomava e dissomava cume ellu. Falavanu incù e mule scozzule, da cavallu, da a Pidochjese à Cane Vechju e collavanu, à pedi, incù e mule cherche di suvu. Ad ogni viaghju, entrava in casetta e si beìa un bichjeru di vinu.
È durata cusì, quellu ghjornu, sin’all’abrogu, à ’nsomà e à dissomà, à empie sacchi e à viotalli à mezu polvericciu. E fecìa un callu chi Dio ci ne guerdi.
Quellu chjassu u cunniscìa scaffulu pè scaffulu; e quelle casette; e quelli chi ci stavanu pè zappà e vigne e potalle, pè vendimìà e fà vinu e acquavita. Ci avìa passatu gran perte di a so vita in quella pieghja. Prima incù u babbu e cù a mamma, quand’ell’avìanu avutu ssu locu, e dopu incù u so fratellu maiò.
U ghjornu di u suvu, ùn la pudìa impattà, ellu ch’era figliu, chi u fratellu, maritatu e affigliolatu, si stessi in casetta à sbeiccià incù d’altri paisani. Ad ogni viaghju u bichjeru di vinu u s’ingullìa di traversu. Ma pertìa listessu à fà un altru viaghju. Senza stancià, sin’à notte. (Era a so natura. Cusì ha fattu tutta a so vita pè u fratellu, pè i nipoti e pè i niputini. A so gioia eranu elli. À tavulinu, a so niputina posava sempre accantu à ellu. Da chjuca li tirava a manica parechje volti manghjendu: “Bacqua”. “Chi tu ti beie à Tavignani!”, e ridìa. Era a so cuntentezza).
Quella sera, cappiatu e mule, fighjò versu e muntagne. U tempu minacciava. Averà da piove? Manghiò di ciò chi c’era, si lampò nant’à a pagliaccia, ch’elli mettìanu dopu manghjatu à meza sala, induv’ellu durmìa digià ch’era una stonda u zitellone, e s’addormentò.
Durmìa nant’à quella pagliaccia, incù u zitellone accantu, e sudava da a fatica e da u callu. Fora u tempu s’era veramente guastatu. Si vidèanu l’accendite e si sentìa u tonu. E si discitò. S’arrizzò, s’affaccò à u portellu. Piuvìa chi ne falava. Pensò subitu ch’ellu ci vulìa à prufitanne pe collassi l’acquavita in paese.
- “Arrizzati“ disse à u zitellone.
- Ma piove; induve vulite andà à st’ora, incù stu tempurale?
- Cumu induve vogliu andà? À collacci l’acquavita, vogliu andà. Eiu approntu i caratelli. Vai e cerca e mule. E cherchemu e ci ne collemu. Sta notte duganeri ùn ci n’è.”
Quantu n’averà collatu caratelli d’acquavita dipoi ch’in paese u fratellu tenìa caffè? E ùn s’era mai fattu chjappà! Quand’ellu collava chercu, ghjunghjìa nenzu ghjornu, e quandu l’altri si discitavanu eranu digià parechj’ore ch’ell’era in casa. A so cugnata l’avìa digià datu u so caffè à latte incù u pane intintu. (Ùn pudìa stà senza metteci l’acquavita). E dopu si n’andava à l’ortu. U riposu? Zappichjà in l’ortu o innacquà unn era un riposu?
E cusì invecchiò. Sempre dendusi di rumenu.
In pieghja c’è falatu sin’à l’ultimu, quandu a vigna si murìa. U vinu ch’ellu fecìa era pocu e l’acquavita listessu. Ne collava sempre appena; ma chi era appett’à ciò ch’ell’avìa triscinatu in li tempi? D’altronde avà ùn c’era più u caffè. A collava per ellu, di ghjornu. Ùn si piettava mancu più.
Collava spenseratu in sell’à u sumere, quella mane, incù dui litri d’acquavita in le bisacce chi parìanu viote. Eccu i duganeri nant’à u stradò.
- “Bongiornu. Chi ci avite in le bisacce?
- (A chi serebbi servutu d’ùn dilli a verità?) Aghju dui litri d’acquavita
- A sapite ch’è difesa?
- Eh, pè dui litri...
- Vi mettimu à l’emenda. Si vo pagate subitu ùn seranu che centu cinquanta franchi.
- Ùn l’aghju centucinquanta franchi, ma à u paese quassù i possu piglià prestu.
- Allora viaghjate, collemu incù voi.”
Ellu in sell’à u sumere, e i duganeri à pedi. E dava à u sumere; e i duganeri stinzavanu u passu. Ghjuntu guasi in paese, cacciò i centucinquanta franchi e i li dedde.
- “Ch’ell’ùn vi si dìa più di volecci burlà. S’ella v’accade torna vi pigliemu u sumere.
- Pigliatevi anc’à mè!”
Ghjuntu in casa infrebbò. Stete chjinatu dui o tre ghjorni. Passavanu i mesi e quella di i duganeri ùn la pudìa ingolle!
D’estate, a contò à unu di u paese, duganeru anch’ellu in Capicorsu.
- “Cumu era fattu quellu chi t’ha chjappu?”
A li spiegò cum’ellu pobbe.
- “Ind’à quessu, si tu l’avìe dettu un patenostru t’avìa lesciatu passà.
- Un patenostru? Ma ùn la sai chi unn aghju micca fattu a cuminiò?”
Les douaniers
Comme toujours, il s’était levé à l’aube, il avait bu son café puis il avait sellé les trois mulets et s’était mis en route pour aller chercher du fumier. Il avait quelqu’un pour l’aider, un adolescent déjà dur au travail qui ne rechignerait pas à tenir ou remplir les sacs, qui chargerait les mulets et les déchargerait, tout comme lui. A la descente, entre la “Pidocchiese” et “Cane Vecchiu”, ils pouvaient se prélasser chacun sur un mulet, mais le retour, les bêtes étant lourdement chargées, il fallait le faire à pied.
Ce sentier, il le connaissait par coeur, il aurait pu le suivre les yeux fermés. Une grande partie de sa vie s’était écoulée là, sur cette terre, dans cette vigne, d’abord avec ses parents, puis son frère aîné, auprès duquel, célibataire, il vivait.
A chaque “voyage”, il entrait dans la maisonnette et buvait un verre de vin. Il y trouvait son frère, attablé avec deux autres villageois désoeuvrés, en train de boire et de bavarder et cela ne lui plaisait pas du tout. Il ne disait rien, cependant, mais le verre de vin qu’il buvait finissait par descendre de travers...
Sous un soleil meurtrier, la dure besogne, ce jour-là, l’occupa jusqu’à la nuit tombante: remplir les sacs, charger les mulets, refaire à pied le chemin de retour, décharger les mulets, vider les sacs, au milieu d’une poussière qui collait à la peau, qui se mélangeait à la sueur. Mais il continuait, c’était dans sa nature (toute sa vie il a agi ainsi, pour son frère, pour ses neveux et ses petits-neveux. A table sa petite-nièce était placée à ses côtés. Plusieurs fois, pendant le repas, toute petite, elle le tirait par la manche en disant: “Baqua” et lui de rire en lui versant de l’eau: “Mais tu boirais toute l’eau du Tavignano!”)
Le soir, après avoir détaché les mulets, il regarda du côté des montagnes. Le ciel était menaçant. Il pleuvrait sûrement. Peut-être même un bel orage?
Après dîner, (son frère n’était pas mauvais cuisinier...) il se jeta sur la paillasse de feuilles de maïs sur laquelle s’était déjà écroulé, mort de fatigue, l’adolescent, qui avait fait vaillamment sa part de travail.
Il dormait sur cette paillasse, couvert de sueur. Dehors un temps de chien. L’orage avait éclaté. La lueur des éclairs, le fracas du tonnerre ne tardèrent pas à le réveiller. Il se leva, alla à la fenêtre. Il en tombait... Un vrai déluge...
Lui avait son idée: n’était-ce pas le temps idéal pour monter trois fois plus d’eau de vie, grâce aux trois mulets, sans risque de se faire prendre? Il toucha l’épaule du garçon:
- “Lève-toi!”
Le malheureux se frottait les yeux sans rien comprendre. Le bruit de la pluie, les éclairs, le tonnerre...
- “Mais il pleut, dit-il, où voulez-vous aller à cette heure-ci, dans cette tempête?
- Comment où je veux aller? Au village, pour monter l’eau-de-vie, voilà où je veux aller! Va chercher les mulets. Moi je prépare les six tonneaux. Nous les chargeons et nous partons tout de suite. Ce n’est pas cette nuit que nous rencontrerons les douaniers”.
Combien en aura-t-il monté au village des tonneaux d’eau-de-vie depuis que son frère et ses neveux y tenaient un café? Il échappait toujours à la vigilance des douaniers. Il quittait la vigne au milieu de la nuit, avec sa mule bien chargée et arrivait au village avant l’aube. Quand les autres se levaient, ils le trouvaient assis à la grande table. Sa belle-soeur, une lève-tôt comme lui, lui avait déjà donné son café au lait avec du pain. (Dès qu’il buvait du café, qu’il fut noir ou au lait, il ne pouvait s’empêcher d’y ajouter une goutte de son eau-de-vie). Ensuite il s’en allait au jardin. Si on lui conseillait de se reposer, “mais biner, arroser, ça ne demande aucun effort, c’est du repos”, disait-il.
A la plaine, sur ce coteau, il y est allé alors même que la vigne se mourait. Il parvenait à produire un peu de vin et d’eau-de-vie, qu’il apportait au village pour la consommation familiale. Ce n’était rien par rapport aux quantités transportées dans le temps! Mais son frère était mort, sa nièce s’était mariée et le café avait fermé ses portes. Maintenant il transportait vin et eau-de-vie au grand jour.
Un matin, il avait quitté la vigne à une heure relativement tardive pour lui. Il emportait à peine deux litres d’eau-de-vie. Il ne pressait pas sa bête. On peut presque affirmer, en pensant à son ancienne activité, qu’il se reposait.
Soudain, à la sortie d’un virage, il aperçut les douaniers. Il arrêta son âne. Ils lui demandèrent ce qu’il portait dans ses besaces.
- “J’ai deux litres d’eau-de-vie. (pourquoi mentir?)
- Mais c’est défendu, et vous allez payer une amende. Si vous avez l’argent sur vous, ça ne sera que cent cinquante francs.
- Justement je n’en ai pas. Au village, là-haut, je pourrai vous payer.
- Bon, nous montons avec vous.”
Lui était sur son âne. Les douaniers suivaient à pied. Lui pressait sa bête, les autres tâchaient de suivre. Ils firent comme ça plusieurs kilomètres, mais impossible de les décourager, ces crampons!
Alors qu’ils étaient presqu’arrivés au village, il prit les cent cinquante francs dans son portefeuille et les leur donna. Ils se fâchèrent: “Que ça ne vous reprenne pas de chercher à nous tromper! Si vous recommencez, nous confisquons votre âne! - Hé! Prenez-moi aussi si ça peut vous faire plaisir!”
Il resta couché pendant deux jours en proie à la fièvre. Tout le monde pensa qu’il n’avait pu supporter l’humiliation de s’être fait prendre de la sorte. Cela le tarauda pendant des mois...
L’été suivant, il raconta sa mésaventure à l’un de ses amis, douanier lui aussi, en vacances au village, qui prit la chose à la rigolade.
- “Comment est-il, celui qui t’a attrapé?”
Il le décrivit de son mieux.
- “Oh! Celui-là tu aurais pu l’endormir avec un Notre Père!
- Un Notre Père? Tu ne sais pas que je n’ai pas fait ma communion? Je ne suis jamais allé au catéchisme. Je n’avais pas que ça à faire, moi! Alors, les prières...