La gazette piétrolaise
A Petra di Verde, u nostru paese
Ziù Valentinu
U ritrattu di Ziu Valentinu, in sala à manghjà induve noi, c'è statu una quindecina d’anni, à di quand'ella è ghjunta in casa zia Miria à dopu ch'ell'è morta. Ùn ci aghju mai vistu un brusgiulu di polvera nantu à quellu ritrattu. Tutte e mani era spolveratu. Micca da Zia Mirìa, ma grazia à ella. Ùn l'averebbi supportata chi 'mo lesciassi u ritrattu à l'abbandonu.
Era un bellissim'omu, Ziu Valentinu, incun buccu cum’e quellu di Napuleone Trè, ch'elli portavanu vulenteri l'omi, à quelli tempi.
Era pertutu à e culunie cum’e tant'altri corsi: in la pulizza, in Tunisìa. Zia Miria era pertuta incun ellu e parlava aspessu di i so suggiorni à Beja, à “Teboursuccu” e in Tunisi. Quelli ch'elli avìanu cunnisciutu quallà e chi venìanu in paese o in cantone venìanu à vedela à Zia Miria e, tandu, eramu tutti in Tunisìa ore intere. Ne ghjunse unu, appena nenzu trentanove, chi era venutu à 'nterrà u fratellu e chi surprese à tutti dicendu ch'ellu avìa fattu u viaghju in “avion”! Fube una di e più belle ghjornate chi no' passaìmu in Tunisìa o, per megliu dì, sopra à u Mediterraniu, incù quellu omu chi si pudìa apparagonà à un'eroe! Qual'è chi l'avìa mai pigliatu, tandu “l'avion”? Ùn sò mancu si 'mo a dicìa ssa parulla: “avion”. Ma u fattu si stà chi eramu tutti smaravigliati, e Zia Miria a prima.
E tuttu si passava sott'à u ritrattu di Ziu Valentinu. E quelli chi venìanu à vede à Zia Miria, fighjendu u ritrattu, ammentavanu sempre quellu brav'omu, chi s'era mortu in Bastia pocu tempu dopu a so ritirata. Face chi, quandu Zia Mirìa avìa una visita, era quant'e ch'ellu campassi sempre, Ziu Valentinu, in boleghj'à noialtri.
Ancu certi chi venìanu à manghjà in casa e chi ùn l'avìanu micca cunnisciutu, videndu u so bellu ritrattu, dumandavanu quale era ss'omu cusì distintu.
Allora si contava... Avìa fattu una bella carriera in la pulizza, Ziu Valentinu. S'era ritiratu cummissaru. Voltendu in Corsica, s'era installatu in Bastìa, induv'ellu s'avìa compru un pianu di casa. E cusì si passava a so ritirata spenseratu, spassighjendu nantu à a piezza Santu Niculà.
Li piecìa u lussu à quell'omu, ùn si contavanu i so “cumpleti” e l'assortimenti di e veste e di i pantaloni, e camice, e paghje di scherpi ch'ell'avìa ghjuntu da Tunisi. E i cappelli e i “canotiers” chi tandu eranu a merca di l'anziani culuniali. N'eranu piene e scancerìe e i baulli. Ssa spezia d'inventariu u rifecìanu, in casa, ogni volta ch'ellu si parlava di Ziu Valentinu e eiu, chi m'era chjucu, mi si parìanu miraculi. I mio dui babboni, l'aghju sempre visti incun a listessa tenuta: saraca di villutu, pantaloni di villutu e beretta pe u castagnicciaiu, vesta nera, pantalone arrìatu e cappellu neru pe l'aiaccinu. Chi peccatu c'o unn abbia cunnisciutu l'omu di u ritrattu e tutta a so roba di pannu fine! Ma ci vulìa à cuntentassi di u ritrattu, di u buccu cume quellu di Napuleone Trè, di i tratti fini e di l'ochji chjari di u poveru Ziu Valentinu.
Da u so rittrattu, Ziu Valentinu vidèa u tavulinu à tre “rallonges” ch'ell'avìa compru à Zia Mirìa e ch'ella s'avìa arricatu ghjundendu in casa nostra, incù u “buffet”, u sedione e u “rocking chair”! E vidèa i pranzi chi no ci fecìamu nantu à quellu tavulinu, in tra di noi e, spessu, incù i nostri invitati. E, qualchi volta, vidèa u pannu di villutu verde di Zia Mirìa chi 'mo mettìamu nantu à u tavulinu chjusu, nenzu di mette tavula, quand'ellu s'aspettava un invitatu più che di merca.
E vidèa ghjente chi venìa à chjachjerà o à discorre e forse, di le volti, ancu à ragionà. E da a risa ch'ell'avìa sempre in bocca nantu à quellu ritrattu, si serebbi dettu chi a nostra vita li piecìa e ch'ellu si ne ralegrava, Ziu Valentinu.
L'oncle Valentin
Le portrait de l'oncle Valentin est resté accroché dans notre salle à manger pendant une quinzaine d'années, du jour où la tante Miria est arrivée chez nous jusqu'aux mois qui suivirent son décès. Il était toujours impeccablement propre et soigneusement épousseté chaque matin, pas par la tante Miria, mais grâce à elle. Elle n'aurait pas supporté qu'on laisse le portrait à l'abandon.
Oncle Valentin était un très bel homme, portant, comme l'exigeait la mode en ce temps-là, un bouc pareil à celui de l'empereur Napoléon III.
Il était parti “aux colonies”, comme beaucoup de Corses. Dans la police, en Tunisie. Tante Miria l'avait, bien sûr, suivi et elle parlait souvent de ses séjours à Béja, à Téboursouk et à Tunis. Ceux de notre village qui les avaient fréquentés là-bas, lorsqu'ils revenaient chez nous, tous les deux ans, passer leurs deux mois de vacances de fonctionnaires coloniaux, ne manquaient pas de lui rendre une ou plusieurs visites. Elle et ses visiteurs n'avaient qu'un seul sujet de conversation, la Tunisie. Cela durait des heures, et nous nous trouvions tous transportés grâce à eux dans ce pays enchanté. En 1938, Tante Miria reçut un visiteur qui était venu pour l'enterrement de son frère. Il fit sensation en déclarant que, s'il avait pu arriver à temps, c'était grâce à l'avion. Ce fut là une de nos plus belles journées en Tunisie ou, pour mieux dire, au-dessus de la Méditerranée, en compagnie de cet homme qu'on pouvait comparer à un héros! Qui avait jamais pris l'avion, en ce temps-là? Nous étions tous émerveillés et tante Miria aussi.
Cela se passait sous le regard bienveillant de l'oncle Valentin, dans son cadre. Les visiteurs de tante Miria, voyant le portrait, déploraient la mort prématurée de cet homme plein de qualités, alors qu'il venait tout juste de prendre sa retraite. Ils évoquaient certains épisodes de sa vie. Ils parlaient de lui avec tant de sensibilité, de respect, d'admiration qu'on s'attendait presque à ce que le portrait finisse par s'animer et que l'oncle descende s'asseoir parmi nous pour prendre part à la conversation.
Chez nous, c'était la maison du Bon Dieu. La table était toujours ouverte et quantité d'étrangers au village ne manquaient pas de venir s'y restaurer. Ils étaient accueillis à bras ouverts. Les nouveaux, impressionnés par la prestance de l'homme du portrait ne pouvaient s'empêcher de demander qui il était.
L'oncle Valentin avait fait une belle carrière dans la police. Ayant pris sa retraite de commissaire, il avait acheté un appartement à Bastia où il passait agréablement son temps se promenant sur la place Saint Nicolas.
L'oncle aimait le luxe et l'élégance. Des habits, il en avait plein des armoires et des malles. Il possédait une grande quantité de “complets” (costumes trois pièces) et ne serait jamais sorti sans s'être assuré, avec l'aide de Miria, que la couleur de sa veste et de son pantalon était assortie à celle de sa chemise, de sa cravate, de ses chaussettes et de ses chaussures. Elle l'aidait à choisir son chapeau en fonction des mêmes critères d'assortiment des couleurs et, aussi, du temps qu'il faisait. Il avait de nombreux chapeaux, “feutres” ou “canotiers”, ces derniers étant la marque distinctive des coloniaux.
Après sa mort, chez nous, la conversation revenait souvent sur ces vêtements extraordinaires. Pour moi qui n'étais encore qu'un petit enfant cela tenait du miracle. Mes deux grands-pères, eux, portaient toujours la même tenue: Pantalon et veste de velours, casquette pour celui de Castagniccia, veste noire en alpaga, pantalon rayé gris et noir, chapeau de feutre noir pour celui d'Ajaccio, qui était fonctionnaire. Quel dommage que je n'aie pas connu l'homme du portrait et sa luxueuse garde-robe!
Mais il fallait se contenter du portrait, du bouc à la mode de Napoléon III, des traits fins et des yeux clairs du défunt oncle Valentin.
Les yeux du portrait voyaient la table à trois rallonges qu'il avait achetée à Miria et qu'elle avait apportée chez nous, avec le buffet, le fauteuil, les chaises et le rocking-chair assortis, lorsqu'il fut décidé qu'elle vivrait désormais dans la famille de sa sœur puisqu'elle n'avait pas d'enfants pour prendre soin d'elle.
Ces mêmes yeux voyaient les nombreux festins que nous faisions sur cette table, en famille, avec des invités ou des gens de passage. Ils voyaient aussi tous ceux qui venaient chez nous pour bavarder, discuter, voire débattre de sujets graves.
Avant l'arrivée de quelque personnage important, l'oncle Valentin pouvait voir les femmes de la maison s'affairer, retirer les trois rallonges de la table et la recouvrir ensuite du beau tapis de velours vert sombre qu'il avait offert à Miria lorsqu'ils étaient jeunes et qu'elle voulait recevoir dignement leurs amis.
Le sourire qui ornait perpétuellement ses lèvres nous faisait comprendre que notre façon de vivre le satisfaisait et qu'il s'en réjouissait, l'oncle Valentin…