La gazette pietrolaise
A Petra-di-Verde, u nostru paese
 

Notes sur le cycle de Pâques (extraits)(1ère partie)

1 – Le dimanche des Rameaux


Nous vivons une époque qui a déjà oublié une foule de traditions et qui en laisse perdre chaque jour, tandis que les cérémonies religieuses, qui pénétraient si intimement la vie populaire, se modifient elles-mêmes profondément dans leur forme.  Tenant compte, par ailleurs, de l’indigence des études folkloriques sur la Corse, il ne paraît pas inutile de fixer quelques souvenirs sincères et précis, déjà vieux de plus d’un demi-siècle, et qui pourront constituer un apport à de souhaitables travaux de synthèse, surtout dans la mesure où d’autres curieux voudront bien porter leur enquête dans les divers cantons de notre île.


Nos renseignements concernent surtout la pieve de Pietra-di-Verde, en Castagniccia, qui connut, au temps de la royauté du châtaignier, une activité rurale et artisanale prospère, une vie religieuse intense, et aussi un attrait non négligeable pour les choses de l’esprit.


Ajoutons enfin que les références à des pays autres que la Corse sont tirés principalement du grand “Manuel de Folklore Français” de Van Gennep.


Pour les folkloristes, la fête des Rameaux serait apparue dans la liturgie à une date relativement récente, soit vers le VIIIè siècle.  Il ne saurait donc en être question chez nous avant les réformes du pape Grégoire le Grand ou peut-être même avant le recul de l’influence musulmane en Méditerranée occidentale.  Dans la plupart des provinces françaises, le dimanche des Rameaux est désigné sous le nom de Pâques fleuries, et aussi dimanche d’Hosanna.  Le terme de Palmes s’est conservé surtout sur la Côte d’Azur, alors que c’est le buis et le laurier, et, plus rarement, le saule, le sapin, le houx, etc., que l’on porte bénir, dans les régions plus septentrionales.  Chez nous, le langage populaire emploie, plus couramment le terme Dumenica di l’ulivu, plutôt que Dumenica di e Palme.  Dimanche de l’Olivier ou, plus simplement, l’Ulivu, l’Olivier, et non pas uliva au féminin.  Il est à remarquer que ce masculin n’est employé que pour désigner la fête, alors que le féminin désigne, à la fois, l’arbre et le fruit.  Pour marquer l’influence de ce moment dans la vie de la nature, on rappelle volontiers que:  À l’Ulivu ogni acellu face u so nidu.  (Au jour de l’olivier, chaque oiseau fait son nid).


On portait des rameaux d’olivier à l’église, le matin, pour les faire bénir.  Ils n’étaient ni décorés, ni garnie de sucreries, de gâteaux ou de menus objets, comme dans d’autres régions de France.  Ils se mêlaient aux crucette, petites croix confectionnées avec des palmes.  Ces palmes fraîches, finement taillées et d’une brillante couleur jaune paille, venaient, disait-on, d’Ajaccio, par les soins de l’Evêché.  La veille de la fête, les membres de la Confrérie locale, aidés par de jeunes bonnes volontés, s’appliquaient à fabriquer diverses sortes de crucette:  petites et simples, de la manière qu’on nouerait un ruban, ou plus grandes et variées, portant, au croisement des branches, une étoile tressée avec plus ou moins de recherche.  Après leur bénédiction, crucette et rameaux d’olivier étaient distribués à la messe.  Le prieur de la Confrérie appelait chaque chef de famille, en  commençant par le Maire, les institutrices et institueurs:  Signor Merre, Signora Istitutrice, Signor’ Istitutore.  Suivaient ceux qui, chaque samedi, au lieu de pisticcine ou de fouaces de farine de châtaignes, remettaient deux pains blancs à l’envoyé du presbytère.  Ces notables avaient droit, en plus des petites crucette, à une grande étoile, ce que le prieur faisait comprendre, en prononçant à haute voix, le mot croce, à la suite du nom de l’intéressé.  Le nombre des croix était assez limité; par contre, il y avait, pour tous, des crucette en abondance.  Après la messe, les jeunes gens les employaient, en partie, à confectionner des campanili, objets finement tressés en forme de clocher à jour, qu’ils portaient à la boutonnière toute la journée.


Crucette et rameaux d’olivier n’étaient pas spécialement destinés ni aux tombeaux, ni aux champs et jardins, comme dans d’autres régions de France.  Mentionnons toutefois que Van Gennep, citant Agostini, signale qu’à Arbellara, près d’Olmeto, on piquait les rameaux dans les cultures qui se trouvaient ainsi protégées contre les calamités agricoles.  Cela a pu se faire ailleurs, et on pouvait les réserver à d’autres usages encore, tout objet béni ayant le pouvoir que la foi de chacun veut bien lui reconnaître.  Le rôle protecteur est primordial; c’est pourquoi une partie du rameau d’olivier était souvent fixée à la porte d’entrée de la maison.  Le reste, avec les crucette, allait rejoindre, dans les chambres à coucher, à la tête du lit, le crucifix, l’image d’un saint, avec l’herbe de la Saint-Jean et les chandelles bénites de la Chandeleur.  Ces chandelles pouvaient être allumées dans des circonstances graves, notamment en cas de maladies ou de décès.  Cela se faisait aussi avec des débris de pierre de la chapelle depuis longtemps ruinée de San Nicolò, des morceaux de chandelles bénites étaient, parfois, cousus dans une petite pièce d’étoffe et suspendus au cou des animaux domestiques, en guise de scapulaires protecteurs des maladies.  On appelait cela un breve (plur.:  brevi).  Les mamans des nourrissons destinaient les chandelles les plus minces, enduites d’huile d’olive, à un usage plus directement utilitaire.  Dans un sonnet composé dans sa jeunesse, et que “A Muvra” publia en 1925, mon grand-père disait, à propos de ces chandelles:  Servenu à fà andà le criature, Quandu lu curpacchjinu è troppu pienu.  Dans la même pièce, il raillait la vulgaire pisticcina de farine de châtaignes, qui ne donnait droit qu’à une modeste crucetta, alors que l’estimable pain blanc, annoncé par un mot solennel, assurait la possession d’une magnifique étoile:  Eh tu, vil pisticcina, ùn vali un cornu!


Rameaux et crucette n’avaient pas une destination bien précise.  L’année suivante, on les détruisaient, par la flamme, soit dans le foyer domestique, soit dans le feu que le prêtre allumait, le Samedi Saint, dans un coin de la place de l’église, pour incinérer tout mobilier ou objet du culte, devenu inutilisable, et cela pour éviter toute profanation à des fins magiques ou autres.


Quant à la procession du dimanche des Rameaux, elle se déroulait aux alentours de l’église et, à son retour, elle trouvait les portes fermées.  Le prieur, ou tout autre membre de la Confrérie, porteur de la Croix processionnelle, frappait légèrement la porte centrale avec le pied de la Croix métallique, et un dialogue chanté s’engageait avec des chantres restés à l’intérieur.  C’est, je crois, après avoir frappé trois fois, que la porte s’ouvrait.  Ce rite, dit de l’attollite portas, minutieusement réglé par la liturgie, ne s’accompagnait, à ma connaissance, d’aucun rapport folklorique.  Il est, en effet, curieux de constater que, dans la région et à l’époque considérée ici, et contrairement à ce qui était encore en usage dans d’autres provinces française, l’Ulivu, ou fête des rameaux, comportait fort peu d’éléments folklorisés.  L’utilisation de l’olivier et des palmes, à l’exclusion d’autres feuillages, montre qu’on restait très près des Evangiles:  Jésus près de la montagne des Oliviers, et la foule allant au-devant de Lui, avec des branches de palmiers, lorsqu’il comptait se rendre à Jérusalem.  Mais on aurait pu s’attendre à relever, dans cette fête printanière, un caractère agraire plus accusé, qu’elle avait peut-être connu à des époques antérieures, ou qu’elle conservait, sans doute encore, au début du XXè siècle, dans d’autres cantons de l’île.



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